jeudi 19 janvier 2012

Rencontre avec Guillaume Dujardin (vendredi 13 janvier 2012)

Guillaume Dujardin,  - « metteur en scène de province » comme il se définit lui-même –, est venu nous parler de sa rencontre « coup de foudre » avec l’écriture d’Howard Barker, lorsqu’il avait vingt ans.


Guillaume Dujardin, metteur en scène

Qui est Guillaume Dujardin par rapport à Howard Barker ?

Après ses premières mises en scènes professionnelles, (Histoire de nuit de Sean O’Casey, La Nouvelle Délivrance de S.I. Witkiewicz, L’écriture ou la vie d’après George Semprun), au Nouveau Théâtre de Besançon, Guillaume Dujardin met en scène pour la première fois un texte d’Howard Barker : Brutopia. L’écrivain anglais assiste à l’une des représentations et c’est à la suite de cette « rencontre post-spectacle » qu’ils décident de mener ensemble un travail commun sur plusieurs années. En 2003, Guillaume fonde la « Compagnie Mala Noche » avec des amis comédiens. Avec cette compagnie, il invite Howard Barker à mettre en scène en France et en français Animaux en paradis. En 2006, The Wrestling School, compagnie britannique que dirige Howard Barker, l’invite à mettre en scène The seduction of almighty god. Le spectacle, joué par six comédiens britanniques et deux comédiens français, est créé à Birmingham et représenté dans plusieurs villes anglaises. Le spectacle est joué en décembre 2006 au Riverside studio à Londres. En 2006 toujours, la Compagnie crée le Festival de Caves, Guillaume y met en scène notamment La douzième bataille d’Isonzo d’Howard Barker. Au cours de l’édition 2007 du Festival, il met en scène Objets possibles, (un mélange de pièces tirées à la fois du recueil de pièces Les possibilités et Treize objets), d’après l’œuvre d’Howard Barker. À l’automne 2007, Guillaume met en scène une nouvelle pièce d’Howard Barker : The dying of today. Le spectacle créé à la Comédie de Caen s’est joué en tournée en France.

Howard Barker, écrivain, dramaturge et peintre.

Qui est Howard Barker pour Guillaume Dujardin ?

Guillaume Dujardin nous décrit d’abord Howard Barker comme quelqu’un venant d’un quartier populaire de Londres et attaché à la langue populaire anglaise dont il déplore la standardisation (due notamment aux influences de l’américain). Il le décrit comme un homme très beau, très « chic », un misanthrope qui a décidé de consacrer sa vie à l’écriture et la peinture. D’ailleurs, Guillaume nous confie qu’Howard Barker part toujours d’une peinture pour commencer une pièce. L’entrée d’un texte d’Howard Barker est donc souvent une « anecdote picturale » comme il la nomme. C’est aussi pour cela, explique-t-il, que les pièces de ne se déroulent jamais aujourd’hui, - (comme c’est aussi le cas dans les pièces de Shakespeare) –, l’anachronisme est donc entièrement assumé. Howard Barker n’écrit pas du théâtre politique, au sens brechtien du mot, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de thèse et en même temps, ce n’est pas un théâtre qui porte directement sur l’actualité médiatique du monde. Il nous explique que l’écrivain s’est construit une vie monacale, (il ne vit pas à Londres), de travail à l’écriture et la peinture.

 Judith, dessin encre de Chine et aquarelle d'Howard Barker.

Peinture d'Howard Barker.

Guillaume Dujardin et Howard Barker ont travaillé dix ans en relation étroite. Ils ont une passion commune pour Goya, surtout ses gravures dans lesquelles prévalent des considérations esthétiques et non  morales.



Goya porte un regard détaché sur les moeurs de son temps et s’emploie à dénoncer les vices humains qui s’expriment « lorsque la Raison s’endort ». Si l’artiste dénonce les travers d’une société espagnole archaïque marquée par la prostitution, l’obscurantisme, la vénalité et l’abus de pouvoir, ses oeuvres dépassent le simple nationalisme pour atteindre une portée universelle. Au sujet de sa série Les Caprices, Goya disait: « L’Auteur songeant. Son seul dessein est de bannir de nuisibles croyances communes et de perpétuer par cette oeuvre de caprice le solide témoignage de la Vérité ».

  
Goya est le peintre préféré d'Howard Barker.

Qu'a lu Howard Barker?

« Il y a très peu d’auteurs de théâtre dans sa bibliothèque officielle. Il a lu – c’est évident –  Shakespeare », nous affirme-t-il. « Il a lu Brecht, Argument for theatre c’est le Petit Organon pour un théâtre de Bertolt Brecht ». Pour H. Barker, les spectateurs qui vont au théâtre doivent être déstabilisés, le spectateur doit être dérangé. "Il a lu Artaud", nous dit-il aussi, "mais cela, Howard Barker le niera. "

 « Le théâtre est une nécessité, il ne délivre pas de messages, il est au service de la langue, de l'émotion. On me dit auteur politique, j'ai des idées politiques, mais jamais sur la scène »

Howar Barker interviewé par Le Figaro le 09.01.2009

Conseils aux comédiens de Guillaume Dujardin concernant l’appréhension d’un texte de Barker :

« Le texte doit donner de l’autonomie au personnage ; les personnages doivent vivre – nous devons aimer leurs qualités autant que leurs défauts, par exemple si je joue un tortionnaire, je ne sais pas – Richard III est très séduisant même si c’est un salaud – je n’ai pas à être moral avec mon personnage.  Parfois, souvent, il faut accepter de ne pas comprendre. Jouer l’acte et non le pourquoi de l’acte. Oui, il y a quelque chose du théâtre de la cruauté d’Artaud et de la peinture de Schiele. »

Nu féminin avec jambes étendues, Egon Schiele, 1914.

Victoria, la muse

La plupart de ses textes, Howard Barker les a écrits pour l’actrice anglaise Victoria Wicks. Il avait une fascination pour son corps, « comme Bonnard pour le corps de Marthe » explique Guillaume, « Gertrude c’est Victoria ». Animaux en paradis est une pièce entièrement écrite pour Victoria. 



Victoria Wicks in Les animaux en Paradis
Elle a joué dans une vingtaine de pièces d’Howard Barker.

   Marthe peinte par Pierre Bonnard (1867-1947)


Quelques préceptes donnés par Guillaume pour aborder les textes de Barker :

Il ne faut pas vouloir expliquer ce théâtre.
 « Jouer pour le japonais du douzième rang » confirme  Sophie Loucachevsky, en d’autres termes.
Il faut faire confiance au spectateur.
Ne pas vouloir être trop explicatif.
La gangrène c’est : vouloir tout simplifier.
Le théâtre est une activité de petit nombre par nature.
Le théâtre ne doit pas être rassurant comme la télévision.
Il faut déconstruire la psychologie au théâtre.

Quelques idées sur le théâtre anglais :

Shakespeare était un bourgeois – (copropriétaire d’un théâtre, il touchait ses droits, achats de ses pièces, propriétaire de terres à la fin de sa vie…) –  il  écrivait du théâtre pour gagner sa vie. En Angleterre, il y a soit un théâtre comique, soit un théâtre politique car il y a très peu d’institutions. (D’ailleurs, les comédiens ne touchent pas le chômage. C’est pour cela que le théâtre d’H. Barker est orphelin dans son propre pays. En France, il y a beaucoup plus de moyens de production. « Le peuple européen est beaucoup plus pauvres que celui du Moyen-âge car dénué d’âme, il n’est occupé que par son salaire et son avidité. » dit souvent Howard Barker. Guillaume explique que l’écrivain regrette le Moyen-âge car il n’y a plus de monastères pour pouvoir penser. Il n’y a plus de silence ; « il n’y a plus que des bouches ». « On est entouré par du bruit. », dit Guillaume qui rejoint la pensée de l’auteur. 


Pourquoi Howard Barker s’est intéressé à la figure biblique de Judith ?


« Peut-être parce que Judith incarne la figure du sacrifice », répond Guillaume. « Le couple Judith et sa servante sont allées au bout du sacrifice. »

Judith décapitant Holopherne par le Caravage (1598-1599)


Barker est-il misogyne ?


« Je ne crois pas cela car il a écrit de très grands rôles pour les femmes. Il peint dans ses pièces, avec une très grande acuité la construction du désir ; je crois qu’il possède une très grande intuition concernant le désir. Misogyne, je ne dirais pas cela. » 

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